Compétition

Interview de Michèle Mouton : “Les femmes doivent affronter les hommes”

À la tête de la commission “Women in Motorsport” de la FIA, Michèle Mouton veut croire en un avenir meilleur pour les femmes, comme elle l’explique dans une interview accordée au “Figaro”. Au début des années 1980, Michèle Mouton fait jeu égal avec les hommes en rallye, remportant quatre victoires (9 podiums) et terminant deuxième […]


Interview de Michèle Mouton : “Les femmes doivent affronter les hommes”

À la tête de la commission “Women in Motorsport” de la FIA, Michèle Mouton veut croire en un avenir meilleur pour les femmes, comme elle l’explique dans une interview accordée au “Figaro”.

Au début des années 1980, Michèle Mouton fait jeu égal avec les hommes en rallye, remportant quatre victoires (9 podiums) et terminant deuxième du championnat du monde des rallyes de la FIA en 1982. Elle milite pour un meilleur accès des femmes à la compétition dans le sport automobile.

Globalement, quelle est votre opinion sur le championnat W Series ?

Toutes les initiatives qui contribuent à la promotion des femmes dans le sport automobile sont positives. La W Series offre non seulement un entraînement mais aussi une visibilité importante. C’est une opportunité que certaines jeunes femmes pilotes ont saisie. Mais le sport automobile est l’un des rares sports (avec l’équitation et la voile) où hommes et femmes peuvent concourir sans distinction. C’est une particularité dont nous devons être fiers. Il n’existe aucune barrière à la progression des femmes dans notre sport, il n’y a donc aucune raison de nous limiter en les laissant à elles-mêmes. Nous devons être plus ambitieux. L’objectif n’est pas d’être la meilleure femme mais le meilleur pilote, ce qui implique de se mesurer aux hommes.

Si la W Series peut être considérée comme un canal de détection/sélection pour attirer plus de jeunes femmes dans le sport automobile et leur permettre d’accéder aux catégories mixtes supérieures pour continuer leur progression, comme le fait notre programme Girls on Track en karting, alors je suis tout à fait pour !

Sinon, ce championnat restera, à mes yeux, limité et discriminatoire, les femmes n’étant autorisées à concourir qu’entre elles.

Les meilleurs pilotes qui sont déjà dans des équipes professionnelles ne veulent bien sûr pas courir dans les W Series, ce qui explique aussi le niveau limité des Séries puisque les plus performants n’y participent pas.

Pensez-vous que l’exposition dont bénéficieront les pilotes des W Series les aidera à attirer les équipes de F1 ?

Le fait d’être une course de soutien lors de certains week-ends de Grand Prix de Formule 1 permettra aux pilotes d’être observés. Mais les équipes de F1 regardent d’abord la performance et il suffit de suivre les temps pour voir le niveau de cette série. Personnellement, je pense que tant qu’elles ne seront pas confrontées à la concurrence des garçons de leur génération, il sera difficile d’émerger en Formule 1 où il ne s’agit plus d’être une des meilleures femmes, mais un des meilleurs pilotes du monde, et pour cela la route est encore longue. J’encourage donc les meilleures de cette série à parfaire leur formation en F4 ou F3 et à défier les hommes dans notre “pyramide monoplace” qui est mixte.

Lorsque vous étiez en compétition, quelle aurait été votre réaction si un tel championnat avait été créé ?

Pour moi, la compétition, c’est se mesurer aux meilleurs, et dans le sport automobile, ce sont des hommes. J’aimais donc me mesurer aux hommes, non pas pour les battre mais pour atteindre leur niveau. C’était assez difficile ! Déjà, à mon époque, je refusais toute Ladies’ Cup puisque j’étais pratiquement la seule ! De plus, les courses sur circuit ne m’attiraient pas et je n’ai jamais pensé à la Formule 1. Cela ne m’intéressait pas de tourner en rond, de suivre toujours la même trajectoire. J’étais faite pour l’improvisation, le rallye et la découverte de beaux pays.

Est-il possible de voir ce genre de catégorie réservée aux femmes dans d’autres disciplines, comme le rallye par exemple ?

J’espère que le rallye saura se préserver d’une telle catégorisation… puisque j’ai prouvé qu’une femme avec un équipement identique pouvait le faire ! Aujourd’hui, le programme international “Rally Star” de la FIA ouvre des perspectives vraiment intéressantes pour les jeunes pilotes (hommes et femmes) en rallye et j’espère que les femmes seront nombreuses à y participer.

La philosophie de notre Commission “Femmes dans le sport automobile” de la FIA est d’avoir une mixité dans notre sport, et nous nous dirigeons de plus en plus vers la présence de femmes parmi les hommes dans d’autres disciplines.

Sur la piste, nous avons noué des relations très intéressantes avec des équipes professionnelles comme Richard Mille Racing ou les Iron Dames pour mettre des filles dans de bonnes voitures en Endurance. Cette année, deux équipes entièrement féminines participent au championnat du monde d’endurance et étaient au départ des 24 heures du Mans pour la deuxième fois. C’est quelque chose dont je rêve depuis tant d’années, car pour moi, l’endurance est la discipline ultime pour une femme. Nous espérons également réaliser quelque chose de concret en rallye-raids où nous travaillons avec Jutta Kleinschmidt (vainqueur du Dakar).

Y a-t-il des mesures en particulier qui vous semblent plus logiques/pertinentes ?

De nombreuses filles talentueuses et souvent rapides ont fini par abandonner parce qu’elles ne voyaient pas d’avenir dans ce sport et manquaient de modèles et de soutien. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que si peu d’entre elles aient réussi à atteindre les plus hauts niveaux. Si nous voulons que les filles réussissent en Formule 1, nous devons élargir la base de la pyramide, qui est actuellement beaucoup trop petite par rapport aux garçons, qui sont déjà très peu nombreux à atteindre le sommet de la F1. C’est la seule façon de résoudre le problème. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, nous développons des initiatives (FIA Girls on Track) visant à élargir cette base en faisant découvrir aux jeunes les différents métiers du sport automobile. Nous leur donnons de l’espoir, et c’est extrêmement important.

L’année dernière, la première édition de notre nouveau programme FIA Girls on Track – Rising Stars a dépassé toutes nos attentes. Nous avons pu soutenir une jeune pilote dans son parcours de développement. À tout juste 17 ans, Maya Weug est la première femme pilote à rejoindre la célèbre Ferrari Driver Academy – grâce à ce programme – et elle montre déjà un grand potentiel pour sa première saison en Formule 4. Nous suivons les progrès de Maya avec grand intérêt. Avoir Ferrari comme partenaire me donne la certitude que nous sommes sur la bonne voie.

Comment jugez-vous l’amélioration de la situation des femmes dans le sport automobile ? Est-ce qu’elle stagne, est-ce qu’elle s’améliore, est-ce qu’elle régresse ?

Lorsque notre commission “Femmes dans le sport automobile” a été créée à la fin de l’année 2009, la tâche qui nous attendait semblait énorme. Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une véritable explosion des talents féminins dans le domaine de la course automobile, avec des opportunités fantastiques au plus haut niveau. Au sommet de la pyramide, nous sommes désormais en mesure de faire entrer des femmes dans les plus hautes catégories du sport automobile. Déjà six femmes dans le championnat du monde d’endurance ! En Indy 500, nous avons Simona de Silvestro, Katherine Legge, et peut-être bientôt Tatiana Calderon qui vient de faire des essais encourageants… En Extrême E, nous avons 9 femmes qui partagent le volant avec des pilotes masculins dans 9 équipes professionnelles. Aujourd’hui, le sport appelle les femmes et si nous leur donnons les meilleures conditions, nous pouvons espérer avoir bientôt une femme en Formule 1.

interview publiée dans Le Figaro le 17 août 2021 – Photo DR


Publié le 02/09/2021

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