Compétition

Entretien exclusif avec Paolo Bombara – avril 2020

Kartcom vous propose un entretien exclusif avec Paolo Bombara, représentant le manufacturier italien de pneumatiques LeCont, mais aussi grand connaisseur et passionné de longue date du sport automobile en général. Italien d’origine très proche de la France, il suit de près l’évolution du Covid-19 dans ces deux pays et pose un regard réfléchi sur la […]


Entretien exclusif avec Paolo Bombara – avril 2020

Kartcom vous propose un entretien exclusif avec Paolo Bombara, représentant le manufacturier italien de pneumatiques LeCont, mais aussi grand connaisseur et passionné de longue date du sport automobile en général. Italien d’origine très proche de la France, il suit de près l’évolution du Covid-19 dans ces deux pays et pose un regard réfléchi sur la période complexe que nous vivons.

Comment LeCont a abordé le début de la crise sanitaire ?
Nous avons anticipé les décisions gouvernementales en sentant le risque de contamination augmenter autour de nous au début du mois de mars. Il n’était pas raisonnable de demander à nos employés de continuer à venir travailler à l’usine alors que la situation sanitaire se dégradait très rapidement en Italie du Nord. LeCont a donc décidé de suspendre son activité après le vendredi 13 mars une semaine avant le décret du gouvernement. Ceci nous a permis d’assurer la sécurité de notre personnel, ce qui était notre priorité.

LeCont a tout de même décidé de se reconvertir partiellement dans la production de masques de protection pour participer à la lutte contre la diffusion du virus. Notre filiale LeCont Technology, qui est spécialisée dans la fabrication de machines industrielles, a été chargée de produire des machines spécifiques puisqu’il s’avérait alors impossible d’en acheter à temps sur le marché. Nous avons atteint à l’heure actuelle une phase de production industrialisée à haute cadence avec une capacité de croisière de 3600 masques de type chirurgical par heure, donc entre 30 et 100.000 masques/jour. Cette activité nous a permis de procurer du travail à une partie de nos employés tout en veillant à leur sécurité. Une autre machine est en cours de montage pour la réalisation de masques FFP2 et FFP3, ce qui doublera au moins notre capacité productive. Ces masques sont certifiés par les normes en vigueur et à 100% « made in Italy ». Ils utilisent même des matières premières fabriquées en Italie et plus précisément dans le nord-est italien (Trentin-Haut Adige, Vénétie). L’ensemble de la production est stérilisé avant d’être distribué via les autorités locales. Nous devrions être rapidement capables de produire et de livrer également dans d’autres pays européens qui en auraient besoin. C’est plus une question d’autorisations nécessaires que de volonté…

Notre laboratoire chimique est par ailleurs réorienté vers la fabrication de gel hydroalcoolique selon les règles et la formulation édictées par l’O.M.S. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une reconversion de LeCont dans le domaine de la santé. Nous comptons bien reprendre la fabrication de pneumatiques dès que les conditions le permettront, mais il est positif pour nous de pouvoir rester actifs en cette période et cette activité se poursuivra en parallèle tant qu’il y aura une nécessité en ce sens.

Quelle est votre analyse de ce qui attend la compétition karting ?
Personne ne sait ce que sera notre vie dans un ou deux mois. Le confinement est officiellement prolongé jusqu’au 3 mai en Italie et jusqu’au 11 mai en France. Il est évident que le confinement ne va pas pouvoir être levé du jour au lendemain, ce sera forcément progressif et cela pourrait prendre pas mal de temps. Et on parle ici du monde du travail, pour ce qui est des loisirs ou du sport, on entend déjà parler de dates beaucoup plus lointaines : mi-juillet par ici, début septembre par là. C’est la concentration du public qui fait craindre des risques importants. Pourtant, en karting, le nombre de spectateurs ne pose pas de problème ! Mais autorisera-t-on rapidement le rassemblement de plusieurs centaines de personnes dans les paddocks entre les pilotes, les mécaniciens, les accompagnants, les officiels et même la presse, lors des compétitions ? C’est loin d’être sûr.

On peut imaginer qu’il sera plus simple dans un premier temps d’organiser des courses régionales ou nationales, en fonction des décisions locales. Au niveau international, se pose le problème de la capacité de voyager de différentes nationalités. De nombreuses frontières risquent de rester fermées pour une longue période et certains demandent même une fermeture de l’espace Schengen. Dans ce cas l’équité sportive ne serait pas respectée si certaines nations ne pouvaient pas être présentes dans un Championnat d’Europe ou un Championnat du Monde par exemple.

Les calendriers prévisionnels récemment annoncés ne peuvent pas être considérés comme définitifs étant donné que les gouvernements prennent des décisions à court terme et révisent régulièrement leur stratégie. À titre personnel j’ai, par exemple, un doute sur la possibilité, aujourd’hui envisagée, de se rendre en Suède pour le premier rendez-vous européen mi-juillet. La Suède a choisi de ne pas confiner sa population et de faire confiance à la discipline de ses citoyens pour atteindre une immunité de groupe. A partir de là, l’arrivée de plusieurs centaines de personnes étrangères dans une, somme-toute petite, ville comme celle de Kristianstad s’accompagnerait d’une augmentation significative des risques pour tout le monde. D’autre part, dans ce contexte, il y aura aussi des contraintes que les constructeurs devront prendre en compte en termes de responsabilité vis-à-vis de leurs employés avant de les envoyer prendre part à une épreuve à l’étranger au risque de contracter le virus.

De manière plus générale, je pense qu’il va devenir indispensable de reconsidérer en profondeur le calendrier avec pragmatisme. Pourquoi ne pas transférer à l’identique le calendrier 2020 à 2021 (comme l’Euro de football ou les Jeux Olympiques) et faire ce que l’on peut pour la fin de cette saison en repartant d’une feuille blanche sans se soucier des accords précédents ou du nombre d’épreuves prévues à l’origine ? On verra bien si on peut organiser quelques courses à l’automne en fonction de la situation à ce moment et dans quelles conditions le faire. Et si jamais la situation sanitaire devait s’améliorer plus tôt que ce qui est envisagé il y aura d’un côté la possibilité de donner de l’oxygène à l’activité nationale et de l’autre celui de rajouter des événements internationaux. J’ai la conviction que la FIA, WSK Promotion et RGMMC doivent obligatoirement se concerter entre eux, oublier les intérêts particuliers et trouver un terrain d’entente pour privilégier les intérêts des constructeurs, des teams et des pilotes pour sauver cette discipline.

Réduire au minimum les dépenses et les déplacements de tout le secteur m’apparait comme une priorité. En tenant compte du caractère fortement italien de la discipline et de ses constructeurs, on pourrait concentrer la compétition autour de l’Italie et des pays voisins, limiter le nombre de circuits, retarder les Championnats du Monde et les relocaliser dans le sud du pays qui a été moins touché et où le climat est plus favorable, réduire drastiquement les roulages préparatoires. Chacun doit faire des concessions, cela me semble inévitable.

Dans ce contexte, la personnalité et le charisme de Felipe Massa, le Président de la CIK-FIA, sera un atout pour obtenir un consensus raisonnable. Je fais entièrement confiance à son implication pour le karting et je compte sur lui pour prendre le taureau par les cornes. Quoi qu’il en soit, Felipe restera dans l’histoire du karting pour avoir été le Président de la crise selon la manière dont il aura su la gérer. S’il arrivait à la surmonter et à prendre les bonnes dispositions pour l’intérêt de la discipline, son image en ressortirait hautement grandie et tout le monde du karting lui sera éternellement reconnaissant. Il faut lui reconnaitre, d’ailleurs, d’avoir déjà pris d’excellentes dispositions, comme le fait d’avoir repoussée d’un an l’homologation des nouveaux châssis.

Nous vivons une situation exceptionnelle et très difficile qui mérite d’être encadrée par des décisions courageuses mûrement réfléchies pour que notre sport puisse s’en sortir le moins mal possible. Quitte à enfreindre des règlements et des procédures. Il faut se focaliser sur l’essentiel et surtout ne pas s’enfermer aujourd’hui dans des carcans bureaucratiques qui n’ont aucune raison d’être face à une telle situation.

Info Kartcom / Photo © KSP


Publié le 21/04/2020

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